Sous la pression de l’Union Européenne, la Mauritanie arrête, enferme et expulse de jeunes sub-sahariens qui tentent, par la mer, de rejoindre les îles espagnoles. Une frénétique coopération de répression de l’immigration lie désormais l’Espagne à ce pays de 3.000.000 habitants qui a depuis des décennies accueilli sur son territoire des migrants ouest-africains. En poussant la Mauritanie dans ses retranchements sécuritaires, l’Europe est en train de semer les germes d’une discorde régionale que les pays africains ont mis tant d’années à construire.
A 470 km de Nouakchott se trouve Nouadhibou, nouveau port de départ des migrants ouest-africains repoussés par les rigueurs des déserts algérien et marocain mais aussi par le zèle que mettent les autorités de ces pays à les pourchasser. De Nouadhibou, « on voit les lumières de l’Europe » tel que, naïvement, me l’assure Adama, jeune migrant malien ; mais à Nouadhibou, on voit surtout ces milliers de migrants qui travaillent à longueur de journée et qui attendent patiemment, obstinément que les pirogues les emportent de l’autre côté, sur les rives espagnoles. Abou, migrant sénégalais me raconte : « Je suis venu de Touba avec un groupe d’amis. nous avons dû payer les policiers, les gendarmes et les douaniers pour arriver jusqu’à Nouadhibou ; nous avons embarqué le soir même de notre arrivée à Nouadhibou et nous avons dû débourser 200.000 ouguiyas (600 €) chacun pour pouvoir embarquer, malheureusement notre pirogue était surchargée et nous avons dû rebrousser chemin. Maintenant nous négocions avec le passeur pour qu’il nous redonne la possibilité d’embarquer à moindre coût ». A Nouadhibou, on voit aussi au port artisanal, les navires de la Gendarmerie nationale, et dans les quartiers pauvres où vivent ces migrants, des policiers venus poser des questions et faire des perquisitions. « Un jour avant que nous n’embarquions pour l’Espagne, une patrouille de Police est venue nous poser des questions sur ce que nous sommes venus faire à Nouadhibou ; après plusieurs heures d’interrogation, et quelques milliers d’ouguiyas rackettés, ils nous ont suggéré de nous tenir tranquilles. Pendant une semaine, nous n’avons pas osé sortir, de peur d’être arrêtés et enfermés à Guantanamo ». « Guantanamo » est le nom que les migrants et les habitants de la ville donnent au Centre de rétention de Nouadhibou. Ce centre est situé à la périphérie de la ville, dans un quartier sub-populaire nommé « Jadida. Une vingtaine de tentes militaires y sont installés et les murs ont été surélevés et surmontés de barbelés. C’est dans ce quartier insalubre fait de tôles, de baraquements et de tentes que vivent les plus pauvres des habitants de Nouadhibou ; et c’est dans cet îlot de misère que l’Espagne a aidé la Mauritanie à concrétiser son nouveau rôle de geôlier des migrants subsahariens. Ousmane Kébé, jeune sénégalais de 22 ans « j’ai été arrête à l’entrée de Nouadhibou et emprisonné 25 jours au centre de rétention ; j’ai été transféré à Nouakchott ou j’ai été enfermé 3 jours et j’ai fini d’être rapatrié par Rosso ». Rosso se trouve à 200 km au sud de Nouakchott et c’est par cette »porte de rapatriement » que sont renvoyés tous les migrants sub-sahariens qui ne sont pas maliens et qui passent par le Centre de rétention de Nouadhibou. La « porte de rapatriement » des maliens, c’est la petite localité de Gougui, située dans la préfecture de Nioro, à l’ extrême sud-est de la Mauritanie. Le Centre de rétention de Nouadhibou, l’accord de rapatriement des immigrés illégaux signé en 2003 avec l’Espagne et le récent accord de « régulation et de gestion des flux migratoires » signé en aout 2007 avec cette même Espagne sont les ingrédients d’une vampirisation rampante de la Mauritanie. Avec ses accords-pièges, la Mauritanie va petit à petit se transformer en une bête immonde vis-à-vis de migrants qui ont toujours eu leur place et dans leur cœur des mauritaniens, et sur leur territoire. Cette liaison dangereuse dans le contexte économique actuel rendra les « chargés de la lutte contre l’immigration » plus gourmands : ils réclameront de plus en plus d’argent aux migrants, les perquisitions seront de plus en plus fréquentes, les enfermements plus longs, plus douloureux et les expulsions seront plus musclés. Et un beau jour, comme au Maroc, un journal écrira dans un gros titre « les crickets noirs nous envahissent »[1] ou quelque chose qui y ressemble ; ajoutez-y un petit nationaliste étroit en manque d’inspiration idéologique, et la Mauritanie sombrera dans le chaos.
La Mauritanie n’a rien, absolument rien à gagner du rôle que l’Europe est en train de lui faire jouer. Les migrants sont de notre monde et les relations que la Mauritanie entretient avec eux valent toutes les richesses du monde.
[1] C'est le grand titre de la première page du journal hebdomadaire marocain Ashamal du 06/09/2005
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