lundi 19 novembre 2007

Quand l’Europe ferme ses portes, l’Afrique perd son âme


Depuis plusieurs années, L’Europe a décidé de fermer ses portes à l’immigration qui vient du Sud ; l’ouverture de ses frontières vers le Nord (pays européens) justifie, à ses yeux, cette politique. L'archipel espagnol des Canaries, situé en face des côtes marocaines, s'est habitué à voir débarquer sur ses côtes des pirogues chargées de candidats africains à l'immigration clandestine ; selon « Fortress Europe » 7.180 immigrés sont morts aux frontières de l’Europe depuis 1988, dont 2.141 disparus en mer. En déléguant aux pays tampons la gestion de cette immigration sauvage, les fondements de la légendaire solidarité africaine se fissurent et le phénomène migratoire intra-africain s’en trouve bouleversé.

En Afrique, le caractère « naturel » de l’appartenance à une nation n’est pas aussi marqué qu’en Europe. La construction des sociétés en Etats-nations est le produit des cultures politiques occidentales. En Afrique, c’est la notion de peuples qui est plus pertinente et plus parlante. L’Etat connait les frontières, la souveraineté sur son territoire ; les peuples n’en connaissent pas, car tous sont « frères » et « cousins ». L’Etat-nation fabrique « l’étranger » en fixant des frontières mais les peuples ne connaissent pas les frontières, mais « l’hôte », celui qui vient de l’autre culture.

Les barricades de l’Europe ont eu raison de la solidarité légendaire des pays africains. Voici quelques exemples pour illustrer ce gâchis.

Le Maroc a longtemps été un pays d’accueil « intellectuel » pour les sub-sahariens ; plusieurs étudiants de l’Afrique noire y ont séjourné ces 30 dernières années, notamment des sénégalais ; depuis des accords signés entre le Maroc et l’Europe sur la coopération dans la lutte contre l’immigration clandestine, le Maroc rafle des subsahariens, les enferme et les laisse mourir aux portes du désert. Le racisme latent du peuple marocain ressurgit et un grand quotidien n’hésitait pas à titrer : « les crickets noirs nous envahissent » en parlant des immigrants sub-sahariens.

En Algérie, point de passage obligé pour des nigériens, des nigérians et des maliens, la Gendarmerie a capturé plus de 6000 immigrants clandestins sub-sahariens lors de ces trois dernières années, et une action en justice a été intentée contre plus de 3000 d'entre eux. Entre 1992 et 2003, 28 828 immigrants clandestins originaires des pays d’Afrique subsaharienne ont été interpellés aux frontières sud de l’Algérie avant d’être refoulé dans leurs pays d’origine

La Libye a longtemps été une terre d’immigration de travail pour les sub-sahariens. Beaucoup de mauritaniens, de sénégalais et de maliens y ont travaillé dans les chantiers du pays. Depuis l’été 2004, la Libye est devenue le chouchou de l’UE et des pays industrialisés ; depuis la levée de l’embargo sur les armes fin 2004, il ne se passe pas de semaine sans que chefs de gouvernement, ministres, dignitaires de l’UE et des Nations Unies ne viennent à Tripoli négocier de fructueux contrats et raffermir le colonel Kadhafi dans son rôle de gendarme de l’Afrique du Nord, en délégant à ce pays, qui n’a signé aucun traité international sur la protection des réfugiés, le soin d’arrêter, emprisonner et expulser les migrants qui tentent d’atteindre l’Europe. L’Italie construit trois camps sur le sol libyen pour empêcher les sub-sahariens d’arriver sur l’île italienne de Lampedusa.

Jusqu’à récemment, la Mauritanie s’était peu impliquée dans la lutte contre l’immigration clandestine, mais depuis deux ans, elle flirte allégrement avec l’UE pour séquestrer et maltraiter les migrants. Avec 5 000 km de frontières terrestres et 740 km de frontières maritimes, il est extrêmement difficile pour la Mauritanie de contrôler l’afflux incessant d’immigrants clandestins sur son territoire. Pour venir en aide à la Mauritanie, l’Espagne a envoyé quatre patrouilleurs, un hélicoptère et une vingtaine de gendarmes de la garde civile. Ces derniers ont été déployés dès le mois de mai 2006. Depuis, ils ont mis en place des patrouilles côtières et formé des forces de sécurité mauritaniennes. Les immigrés qui souhaitent rejoindre l’Europe se massent dans la ville de Nouadhibou, au nord-ouest de Nouakchott. Ils étaient plus de 10 000 candidats au départ en 2006. Les patrouilles maritimes ont permis à la Mauritanie d’intercepter puis d’expulser quelque 10 000 ressortissants d’Afrique de l’ouest qui tentaient de rejoindre en pirogues les côtes de l’archipel espagnol des Canaries. Martin Bouygues est en train de construire un camp dans la ville portuaire de Nouadhibou. On y enferme de nombreux sénégalais, maliens, gambiens, ivoiriens et guinéens de Bissau.

Au Sénégal, la France a signé en septembre 2006, un accord portant sur la gestion des flux migratoires entre les deux pays, au moment où la pression des migrants s’accentue aux frontières sud de l’Europe. Les jeunes sénégalais ont payé un lourd tribut à l’océan atlantique ; par vingtaines et depuis plus d’un an, ils tentent à bord de grandes pirogues, de parcourir les 1 500 kilomètres qui séparent le Sénégal de l’archipel espagnol des Canaries. Un Collectif des femmes pour la lutte contre l’immigration clandestine se bat pour que les jeunes pêcheurs de Thiaroye ne risquent plus leur vie pour rallier l’Europe.

Pour finir ce tour d’Afrique, il faut aller voir du côté du Mali. Au mali l’immigration est un vecteur de développement. Les 60 millions de francs français transférés chaque année par les maliens qui vivent avec ou sans-papiers en France pèsent plus lourd que le total des crédits internationaux de coopération. Le commissaire européen Louis Michel a annoncé jeudi 7 février la création, courant 2007, d'un Centre d'information et de gestion des migrations (CIGM) à Bamako. "Le Mali est considéré par l'Union européenne comme le pays idéal en Afrique pour la mise en route de programmes en faveur du concept migrations-développement. C’est au Mali que s’arrêteront les camps où on enferme des étrangers car Le Mali est un pays à part sur le continent africain : il est démocratique et a une tradition d'émigration qui n'est pas uniquement liée à la pauvreté du Sahel.

Pour conclure il faut noter qu’il est indéniable que les exigences de la fermeture des frontières européennes ont conduit certains pays africains à durcir leur politique d’accueil vis-à-vis de leurs voisins. Le rôle que l’Europe veut leur faire tenir n’est pas taillé sur mesure pour les cultures qui sont siennes. La libre circulation qui caractérisait beaucoup d’espaces régionaux africains est en train de mourir, par la faute des politiques européennes de fermeture des frontières.

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